La solidarité au royaume de l’ours blanc

« Vous êtes ici chez vous ». À quelque 1500 kilomètres à vol d’oiseau de Montréal, la réalité des travailleuses et travailleurs du Nord est si différente qu’on peine à croire qu’on se trouve toujours au Québec.

À la fin du mois de mars, une délégation de la CSN s’est rendue à Kuujjuaq dans le cadre de la tournée sur la vie syndicale. Dès leur arrivée, les délégué-es ont été accueillis par Victor Mesher et Thierry Langlois, présidents des deux syndicats du Grand Nord affiliés à la CSN. La fierté de recevoir la CSN pouvait se lire sur leurs visages.

Établi depuis maintenant quatre ans à Kuujjuaq, Thierry Langlois, qui travaille à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), insiste sur les défis rencontrés par celles et ceux qui viennent s’y établir pour travailler. « La vie professionnelle au Nord, c’est une succession de deuils à faire. La plupart des employé-es, qui deviennent avec le temps des amis, vont rester entre un et deux ans, en moyenne. Il y a aussi ceux qui quittent leur famille et leurs amis pour venir vivre l’expérience. Ceux-ci font un sacrifice que beaucoup d’autres ne seraient pas prêts à faire », mentionne le président du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de Santé Tulattavik de l’Ungava–CSN. « Mon travail dans le syndicat est de m’assurer que, même si on est à l’autre bout du monde, les conditions de travail soient adéquates, les règles respectées et que ça leur donne le goût de rester. »

Avec des rotations de deux mois de travail suivis d’un mois de vacances, il peut s’avérer difficile de maintenir une cohésion dans la vie syndicale. Toutefois, en synchronisant les horaires et en coordonnant les journées de libération, le comité exécutif du syndicat réussit à répondre à tous les besoins des membres.

Même son de cloche du côté du Syndicat des employé-es de l’administration régionale Kativik (SEARK–CSN), dont Victor Mesher est président. Natif de Kuujjuaq, Victor a vu nombre d’employés partir après quelques années, surtout lorsqu’ils ont des enfants en âge de fréquenter l’école. La conciliation famille-travail fut d’ailleurs au cœur de la dernière négociation, un combat mené à bout de bras par l’ensemble des membres du syndicat.

Comme c’est le cas pour plusieurs employés travaillant dans le Grand Nord, les billets d’avion permettant aux travailleuses et travailleurs venant du sud de retourner à leur lieu d’origine sont souvent fournis par l’employeur, une clause que l’administration régionale tenait à revoir. Pour Victor Mesher et bien d’autres employé-es, ces billets permettent également d’aller visiter les enfants ou la famille qui demeurent à l’extérieur du Nuna­vik. Cependant, comme pour l’ensemble de ces demandes, l’employeur a fini par reculer grâce à la mobilisation et la solidarité dont les membres ont fait preuve au cours des trois ans de négociation. Mûrs de cette expérience, le comité exécutif du syndicat et le comité de négociation nouvellement élu sont prêts à se lancer dans la prochaine négociation.

Le défi de la distance
Pour les deux syndicats, organiser une assemblée générale s’avère un véritable défi. Plus qu’une simple convocation en salle de réunion, on doit connecter l’ensemble des villages sur une ligne téléphonique. Les membres étant répartis dans 14 villages formant autant de communautés longeant la baie d’Hudson, il arrive que les aléas météorologiques et même une alerte d’ours polaires viennent freiner leur participation aux assemblées. Bien que les comités exécutifs doivent composer avec la distance propre à la réalité territoriale, rien n’est si différent : sur les tables à l’entrée de la salle de réunion, au lieu des beignes et du café Tim Hortons, on trouve de la bannique [pain plat sans levain traditionnel] et des beignets préparés par l’une des membres et sa grand-mère.

Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN, est ressortie de ces assemblées générales fort impressionnée : « Animer une vie syndicale est déjà tout un défi. Certes, il y a le désir d’améliorer les conditions de travail. Mais vivre dans le Grand Nord n’est pas toujours simple, notamment en raison de la rareté des denrées ou l’accès au transport compliqué par la météo. Malgré cela, j’ai pu constater qu’il y a une vie syndicale animée, grâce à des militantes et militants qui ont à cœur les conditions de vie et de travail pour les membres qu’ils représentent. C’est assez impressionnant d’être sur le terrain et de faire ce constat. »

Même si certains défis rencontrés par les travailleuses et travailleurs du Nord leur sont propres, ils font tout de même écho parmi nous. Une chose est sûre, nous demeurons toutes et tous animés par un désir commun : améliorer les conditions de travail de l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, et ce, peu importe leur lieu de travail.

 

PAR CAMILLE GODBOUT