Entre les vagues qui s’entrechoquent

TRAVAILLER SUR LES TRAVERSIERS

Photo : Jacques Boissinot / Presse canadienne

PAR DANIEL PIERRE-ROY

On pourrait penser que la traverse est frappée de pure malchance, mais en y regardant de plus près, il s’agit plutôt d’une question de mauvaise gestion et de négligence.

Sylvie est maintenant soulagée, elle qui a passé près d’un an à se faire engueuler par des clients en colère. Le traversier sur lequel elle travaille, le F.-A. Gauthier, est enfin redevenu opérationnel. Il était temps, parce que les usagers étaient vraiment à bout. Et elle aussi.

En décembre 2018, on annonçait que le récent traversier chargé de la traverse Matane–Baie-Comeau–Godbout, le F.-A. Gauthier, allait rester à quai durant quelques semaines. Mais les semaines se sont transformées en mois, puis en années.

« On se faisait sacrer après, on se faisait traiter d’incompétents, et si on répondait quelque chose que le client ne voulait pas entendre, il nous demandait notre nom pour déposer une plainte contre nous. On travaillait fort pour essayer de composer avec la situation, mais on avait hâte que ça se termine. »

La longue traverse Matane–Baie-Comeau–Godbout, utilisée par près de 200 000 personnes par année, est névralgique pour l’économie nord-côtière. « On y voit un grand nombre de camions-remorques et de personnes qui l’empruntent pour se rendre au travail, dans le Nord. C’est un lien central pour envoyer, entre autres choses, les denrées périssables vers Fermont », souligne Sylvie.

Durant l’inactivité du F.-A. Gauthier, les habitué-es du traversier devaient contourner le fleuve Saint-Laurent par la route. Après ce détour de près de huit heures, ils empruntaient le pont aérien ou encore la traverse à Rivière-du-Loup. Ils devaient alors laisser leur voiture derrière eux, dans une région peu reconnue pour son transport en commun.

On pourrait penser que la traverse est frappée de pure malchance, mais en y regardant de plus près, il s’agit plutôt d’une question de mauvaise gestion et de négligence, dont certaines ramifications semblent remonter jusqu’à la mafia en Italie.

Au moment de remplacer le Camille-Marcoux, qui a fait la traversée pendant plus de 30 ans, la Société des traversiers du Québec (STQ) a retenu la soumission la plus basse, celle de la firme Fincantieri, évaluée à 140 millions de dollars. Les réparations et ajustements divers, additionnés au coût des mesures d’urgence pour assurer la traverse par d’autres moyens, auront fait monter la facture à quelque 220 millions. La firme, dont les bureaux ont été perquisitionnés quelques années après l’obtention du contrat, a fait l’objet de plusieurs poursuites dans différents pays.

Malgré les lacunes lors de la construction du F.-A. Gauthier et les nombreux avertissements qu’elle a reçus, la STQ aurait fait la sourde oreille, selon un reportage diffusé par l’émission Enquête de Radio-Canada. Le laxisme des responsables chargés de superviser la construction du navire laisse d’ailleurs perplexe. En février 2019, le gouvernement caquiste congédiait le directeur général et mandatait, quelques mois plus tard, la vérificatrice générale d’étudier ce fiasco.

« On a fini par cacher pour qui on travaille, parce qu’on n’en pouvait plus d’entendre parler des problèmes de la traverse. Même les enfants des salarié-es se faisaient écœurer dans la cour d’école », déplore Sylvie.

Le 26 janvier dernier, le F.-A. Gauthier a repris du service, après un essai raté en décembre. Les salarié-es espèrent, sans trop y croire, qu’il tiendra enfin le coup.


Santé-sécurité sur les traversiers ça tangue !

Marc se bat contre la STQ, car travailler sur le F.-A. Gauthier l’a rendu malade. Exerçant le métier de huileur, il devait nettoyer la moisissure qui s’étendait sur des proportions impressionnantes du jeune bateau. Il a développé une maladie pulmonaire qui a mis fin à sa carrière.

De son côté, Émilie travaille à la traverse Sorel-Tracy ; elle constate que ce n’est pas sur le bateau que le boulot y est le plus risqué, mais lorsque les automobilistes, pressés, arrivent sur le site et en repartent. Un accident s’est d’ailleurs produit il y a quelques années, après qu’un véhicule a happé mortellement un travailleur. « Les gens ne font pas attention. On passe proche de se faire frapper assez souvent. Notre bateau, on le connaît, mais nous n’avons aucun contrôle sur les clients et leur conduite automobile. »

La CAQ souhaite-t-elle asphyxier les services publics ?

NÉGOCIATION DU SECTEUR PUBLIC

PAR KATERINE DESGROSEILLIERS

Dans le secteur de la santé et des services sociaux ainsi qu’en éducation, les dépôts patronaux dénotent un flagrant manque de vision.

Le 12 décembre dernier, la CSN a rencontré le Conseil du trésor pour recevoir les offres du gouvernement en vue du renouvellement des conventions collectives du secteur public.

Alors que la CAQ promettait du changement, les propositions déposées indiquent plutôt que le gouvernement Legault choisit de poursuivre sur la même voie que ses prédécesseurs libéraux en refusant de reconnaître la valeur du travail accompli par les travailleuses et les travailleurs en éducation, en santé et services sociaux et dans les organismes gouvernementaux.

Des offres salariales insultantes
Côté salaire, le gouvernement offre à ses propres employé-es de s’appauvrir. En proposant des augmentations sous le taux d’inflation – 1,75 % pour chacune des deux premières années, 1,5 % pour la troisième année et 1 % pour chacune des deux dernières années – le premier ministre Legault renie sa parole de consentir au minimum des augmentations qui couvriraient la hausse du coût de la vie. Pour les membres CSN du secteur public, cette proposition est inacceptable. Éviter de s’appauvrir en travaillant ne devrait même pas être un enjeu de négociation. C’est la base.

Le Conseil du trésor propose aussi de verser un montant forfaitaire de 1000 $ non récurrent aux personnes qui auront atteint le dernier échelon de leur échelle salariale d’ici le 30 mars 2020. Ce montant n’est que de la poudre aux yeux.

Sur le terrain, les offres salariales ont été reçues comme une véritable insulte. Pour bon nombre de travailleuses et de travailleurs des réseaux publics, le salaire actuel ne permet même pas de vivre décemment. Les besoins sont grands et les personnes qui œuvrent au quotidien à prodiguer les meilleurs services possible à la population s’attendent à plus de respect de la part de leur employeur, le gouvernement du Québec.

Négocier sans attendre
Le Conseil du trésor, dans son dépôt des deman­des à la table centrale, annonçait la création de trois forums sur ses priorités gouvernementales, soit la santé globale des salarié-es, la réussite éducative et l’accessibilité aux soins pour la clientèle en hébergement de longue durée ou recevant des soins à domicile. La CSN a annoncé en janvier dernier qu’elle ne participera pas à ces forums ; les fédérations du secteur public considèrent que les discussions sur ces enjeux cruciaux doivent se tenir aux tables de négociation, dès maintenant.

Une première séance entre la CSN et le Conseil du trésor s’est tenue le 8 janvier. Les parties ont convenu de se rencontrer régulièrement. Les pourparlers sont donc entamés sur l’ensemble de nos revendications, tant sur le salaire que sur les autres enjeux intersectoriels, soit la retraite, les disparités régionales, les droits parentaux ainsi que les assurances collectives et la protection des lanceurs d’alerte.

Des dépôts sectoriels déconnectés
Les fédérations du secteur public affiliées à la CSN (FEESP, FNEEQ, FP et FSSS) ont aussi reçu, en décembre, les propositions sectorielles des comités patronaux de négociation.

Dans le secteur de la santé et des services sociaux ainsi qu’en éducation, les dépôts patronaux dénotent un flagrant manque de vision. Alors que la négociation devrait servir à améliorer les conditions de travail de toutes et de tous, les patrons des réseaux semblent plutôt vouloir saisir l’occasion pour accroître le pouvoir des cadres et retirer certains droits aux salarié-es. Les dépôts comportent des éléments préoccupants pour celles et ceux qui sont en situation de précarité, particulièrement en éducation : diminution des avantages pour les employé-es à temps partiel, augmentation des délais et ajout de critères pour l’obtention de la permanence, modification des horaires à la petite semaine, etc. Avec de telles mesures, il est difficile de saisir comment les patrons pensent attirer la relève dans les écoles, les cégeps et les établissements de santé et de services sociaux.

Du côté des travailleuses et travailleurs des organismes gouvernementaux syndiqués à la CSN qui prennent part à la négociation du secteur public, seuls les membres du Parc olympique de Montréal ont déjà entamé les discussions avec la partie patronale. Les sept syndicats FEESP et FP de cet organisme ont décidé de se coordonner pour mener la présente ronde de négociation. Une décision fort stratégique compte tenu de la volonté de l’employeur de réécrire entièrement les conventions collectives, notamment en décloisonnant les horaires et en facilitant le recours à la sous-traitance. Les syndicats CSN de l’aide juridique, des traversiers et de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse n’ont quant à eux toujours pas reçu les propositions patronales.

Merci, mais non merci
Absolument rien dans les dépôts du gouvernement, tant à la table centrale qu’aux tables sectorielles, ne permet d’attirer le personnel dans le secteur public et de le retenir. Avec les coffres de l’État québécois qui débordent et une situation de rareté de main-d’œuvre qui entraîne déjà des pénuries majeures dans les réseaux, voire des bris de services, le gouvernement a les moyens et le devoir de faire mieux. C’est par leur mobilisation que les 150 000 travailleuses et travailleurs CSN du secteur public lui feront prendre conscience de l’urgence d’agir.

Prendre en main sa vie syndicale

BANQ

Photo : Droits réservés

Plus de 100 personnes se sont déplacées, un samedi soir à 18 h, à la première assemblée générale qui s’est tenue après la période de maraudage.

PAR CAMILLE GODBOUT

Un désir d’indépendance, d’autonomie et de renouveau syndical : c’est ce qui a motivé 400 employé-es de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) à entreprendre la campagne de changement d’allégeance syndicale survenue l’automne dernier.

En mai 2019, alors qu’approche la période de maraudage, une quarantaine de travailleuses et de travailleurs de BAnQ décident de s’organiser pour grossir les rangs de la CSN. À l’avant-plan des pourparlers, ressort le désir de revitaliser l’intérêt des membres pour leur syndicat et d’avoir la mainmise sur les négociations, tant en ce qui concerne les contrats d’assurance et la négociation de conventions collectives que le contrôle sur le budget ou la vie syndicale. Bref, c’est une volonté de conquérir le pouvoir d’agir qui a alors poussé les membres, affiliés au Syndicat de la fonction publique du Québec, à entreprendre cette démarche.

« On s’est rendu compte, finalement, que la plupart des gens étaient d’accord avec nous », souligne Guylaine Vallée, vice-présidente du nouveau Syndicat des travailleuses et travailleurs unis de BAnQ–CSN. « On n’a pas eu à insister et à développer une grande stratégie de séduction ; nos collègues étaient déjà convaincus que c’était la bonne chose pour eux. »

Plus de 100 personnes se sont déplacées, un samedi soir à 18 h, à la première assemblée générale qui s’est tenue après la période de maraudage. Ça ne peut être plus clair : ce changement les inspire ! Ce vent de renouveau se sent d’ailleurs jusque dans les structures du syndicat. « On a beaucoup de pain sur la planche », enchaîne Guylaine Vallée. « On a créé une nouvelle structure de délégué-es pour chacune des sections. Chacun d’eux représentera une trentaine de personnes. Notre but est de nous rendre disponibles pour les membres et de faire en sorte qu’ils se sentent enfin écoutés. »

Le nouveau syndicat constitué rassemble des techniciennes et techniciens en documentation, des commis, des agentes et agents de bureau, des manutentionnaires, des secrétaires et plusieurs autres corps de métiers. Bienvenue à la CSN !

Commissions scolaires: Opinion de Nathalie Arguin, présidente de la FEESP – CSN, sur le recours au bâillon par le gouvernement de la CAQ

Le Premier ministre Legault, le ministre de l’éducation Roberge et tous les complices de cette mascarade de démocratie m’ont mise hors de moi dès l’ouverture de la séance extraordinaire de l’Assemblée nationale. Certes, me direz-vous, plusieurs membres de l’opposition ont déjà eu recours à ce stratagème. Mais la condescendance et le manque d‘écoute du gouvernement de la CAQ sont manifestes !

Extrait:
« M. le Président, j’invite le chef du Parti libéral pas à aller voir Mainstreet, comme il dit, là, d’aller voir le monde ordinaire. Je le sais, aujourd’hui, il y a une tempête, là, mais il pourrait peut-être aller dans quelques centres d’achats puis aller demander aux gens est-ce qu’ils souhaitent qu’on garde les élections scolaires ou non. »

Alors pour M.Legault, le « monde ordinaire », quand il y a tempête, s’en va au centre d’achats pendant que des gens « importants » comme lui s’occupent des affaires « importantes »! M. Legault, le monde ordinaire, c’est entre autre les travailleuses et travailleurs du soutien scolaire, les secrétaires d’école, les technicien-nes en éducation spécialisée, les concierges, les employé-es de cafétéria, les préposé-es aux élèves handicapés, les agent-es de bureau, les électricien-nes, les éducatrices en service de garde, qui se lèvent chaque matin pour accueillir, guider, aider, consoler nos enfants, pour leur offrir un environnement propre et accueillant. Ce sont ces personnes « ordinaires », M. Legault, qui subiront les changements passés au bâillon à la Loi sur l’instruction publique QUI TOUCHE BEAUCOUP PLUS QUE LES ÉLECTIONS SCOLAIRES ! Ces gens ordinaires, M. Legault, ce sont eux qui connaissent le mieux le fonctionnement des commissions scolaires. Mais ni vous, ni le ministre de l’Éducation n’avez daigné les consulter. À plusieurs moments en commission parlementaire, le ministre n’était même pas à l’écoute.

M. le ministre Roberge, le personnel de soutien scolaire, qui en toute bonne foi, vous a soumis leurs amendements au projet de loi, est indigné ! C’est un rendez-vous manqué: vous avez fait défaut de prendre en compte l’expertise terrain de plus de 30 000 personnes œuvrant au quotidien dans le réseau scolaire en plus des milliers d’autres acteurs du milieu. Quand un projet de loi compte plus de 300 articles, modifiant plus de 80 lois, on parle beaucoup plus que d’abolir les élections scolaires. Et quand, M. Roberge, vous avez décidé d’entreprendre une telle réforme, il fallait certainement planifier le temps nécessaire pour y arriver.

70 heures c’est trop, vraiment ? Cela ressemble plutôt à un prétexte pour bâillonner toutes les voix contraires à la vôtre.

« Du choc des idées jaillit la lumière! » – Nicolas Boileau

Une bien grande noirceur attend le réseau de l’éducation.