N’attendons pas la prochaine crise

Dans son projet d’offre globale, le gouvernement fait la sourde oreille à bon nombre d’enjeux soulevés par la CSN.

Plus d’une centaine de travailleuses et de travailleurs du secteur public se sont rassemblés aujourd’hui à Montréal devant les bureaux du premier ministre François Legault. Tous munis d’un couvre-visage et respectant la distanciation physique, des membres de la CSN œuvrant dans les réseaux de la santé et des services sociaux et de l’éducation ainsi que dans les organismes gouvernementaux ont manifesté leur mécontentement quant au déroulement de la négociation actuelle et ont indiqué au gouvernement que l’offre globale qu’il propose est insuffisante tant sur le plan des conditions de travail que sur celui des salaires.

« Ce qui est sur la table actuellement ne répond pas aux besoins du personnel des services publics et, malheureusement, avec les problèmes catastrophiques d’attraction et de rétention dans les réseaux, on constate aujourd’hui les conséquences graves de ne pas agir en ce sens », a affirmé Caroline Senneville, vice-présidente de la CSN.

La CSN a tenu à rappeler qu’il y a plusieurs mois, elle sonnait déjà l’alarme sur l’état préoccupant de nos services publics après des années de négligence institutionnelle. Pour l’organisation syndicale, l’absence de volonté réelle du gouvernement d’améliorer les conditions de travail de tout le personnel qui assure les services à la population est à la fois incompréhensible et inacceptable. « Les réseaux étaient mal en point bien avant la pandémie. Les problèmes ne disparaîtront pas dans les prochains mois, bien au contraire. La négociation en cours, bien qu’elle se fasse dans une période de crise sans précédent, doit absolument permettre d’améliorer significativement le sort des travailleuses et des travailleurs des services publics », a ajouté Caroline Senneville.

Dans son projet d’offre globale, le gouvernement fait la sourde oreille à bon nombre d’enjeux soulevés par la CSN. Parmi ceux-ci, on trouve notamment la nécessité d’assurer une immunité aux lanceurs d’alerte. « Les travailleuses et travailleurs des réseaux publics doivent pouvoir dénoncer des situations inacceptables sans craindre des représailles. Pour mettre fin à l’omerta une fois pour toutes, il faut reconnaître ce droit dans nos conventions collectives, comme nous le demandons depuis le début de la négociation. Dans le contexte actuel, c’est particulièrement choquant que le gouvernement s’entête à refuser cette demande on ne peut plus légitime. »

Pour Dominique Daigneault, présidente du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN), il est clair que le gouvernement doit prendre acte du message porté par les militantes et les militants qui se sont rassemblés aujourd’hui. « Malgré toutes les contraintes qui résultent de la crise sanitaire, plus d’une centaine de personnes ont tenu à venir ici, devant le bureau du premier ministre, pour réclamer des services publics plus humains tant pour celles et ceux qui y travaillent au quotidien que pour l’ensemble de la population. Ces personnes se font la voix de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui se dévouent comme jamais pour le Québec. Elles doivent être entendues. »

Alors que le gouvernement ne cesse de répéter publiquement qu’il souhaite parvenir rapidement à des ententes avec les organisations syndicales, il ne démontre pourtant pas cet empressement à négocier en bonne et due forme. C’est d’ailleurs sur un appel clair à la négociation que la vice-présidente de la CSN, Caroline Senneville, a souhaité conclure le rassemblement. « M. Legault, nous avons, ensemble, la responsabilité de regarder les problèmes en face, de réparer ce qui est brisé et de redonner aux Québécoises et aux Québécois les services publics auxquels ils ont droit. Venez vous asseoir aux tables de négociation; c’est là que sont les solutions. N’attendons pas la prochaine crise. »

Pour information

Agents de prévention en milieu de travail : la CSN demande que les syndicats soient aussi consultés

« Redéployer 1000 fonctionnaires pour faire la promotion de la prévention, c’est un bon pas en avant. Mais on doit s’assurer que les travailleuses et les travailleurs sont partie prenante de l’évaluation des mesures mises en place. »

La CSN se réjouit de l’annonce du ministère du Travail qui redéploiera 1000 agents de prévention issus de la fonction publique pour faire la promotion des mesures de santé et de sécurité en lien avec le déconfinement graduel des entreprises. Toutefois, la centrale syndicale demande à ce que les syndicats soient également consultés dans l’évaluation des mesures de prévention mises en place pour chacun des milieux de travail.

Comme l’a indiqué le ministère du Travail ce matin, en collaboration avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), des équipes de prévention composées de personnel de différents ministères et organismes publics seront également responsables d’évaluer les mesures mises en place dans différents milieux de travail. Ceux-ci pourront communiquer avec les employeurs, mais aucune forme de consultation auprès des travailleuses et des travailleurs n’est actuellement prévue.

« Toute la Loi sur la santé et la sécurité du travail repose sur le paritarisme, rappelle le vice-président de la CSN, Jean Lacharité. Ces agents de prévention sont appelés à être les yeux et les oreilles de la CNESST. Il tombe sous le sens que ceux-ci doivent être habilités à consulter l’ensemble des parties pour établir un portrait approprié de la situation dans chaque entreprise. Il en va de la santé et de la sécurité des travailleuses et des travailleurs. Si on veut prendre tous les moyens pour réduire la propagation du virus, il faut s’assurer que les milieux de travail s’ajustent correctement. En ce sens, la participation des syndicats est primordiale. »

La centrale syndicale demeure très préoccupée par le manque d’inspecteurs et d’inspectrices en prévention au sein de la CNESST. « Déjà, avant la crise, nous étions inquiets des conséquences du manque de ressources pour inspecter les milieux de travail et apporter les correctifs appropriés. La situation ne s’est pas améliorée avec la crise de la COVID-19. Redéployer 1000 fonctionnaires pour faire la promotion de la prévention, c’est un bon pas en avant. Mais on doit s’assurer que les travailleuses et les travailleurs sont partie prenante de l’évaluation des mesures mises en place. C’est ce que nous demandons à la CNESST et au ministre du Travail Jean Boulet », mentionne Jean Lacharité.

Prison de Bordeaux : la détresse entre quatre murs

« On ne se demande plus si on va attraper la COVID, mais plutôt quand on va l’attraper. »

Comme l’illustre bien l’hécatombe qui a lieu dans les résidences pour aîné-es au Québec, contenir la propagation d’une maladie dans un milieu de vie fermé n’est pas une mince affaire, même si on peut difficilement imaginer un milieu plus cloîtré qu’un centre de détention. Pourtant, avant l’éclosion de la COVID-19 qui a surgi il y a quelques semaines à l’établissement de détention de Montréal, communément appelé « prison de Bordeaux », on faisait très peu de cas des risques qu’encourent, dans l’ombre, les agentes et les agents de la paix en services correctionnels du Québec.

Claude, qui travaille de soir à Bordeaux depuis plusieurs années, a accepté de nous parler sous le couvert de l’anonymat pour jeter un peu de lumière sur ce que vivent les agentes et les agents qui sont au front pendant la crise.

« J’ai des collègues sur mon quart de travail qui sont tombés malades. Je n’ai pas été testé. Je crois que seuls ceux qui ont des symptômes sont testés, donc c’est possible qu’on ait des collègues qui sont asymptomatiques et qu’on continue de se transmettre le virus entre nous, s’inquiète Claude. On ne se demande plus si on va l’attraper, mais plutôt quand on va l’attraper. »

Comme si la crainte constante de tomber malade et l’angoisse de voir des collègues tomber au combat ne suffisaient pas à faire grimper le niveau de stress, les agentes et agents doivent également se méfier de certains détenus que les circonstances difficiles ont rendus hostiles, voire agressifs.

« Les agents dans le secteur C ont travaillé avec l’équipement d’intervention d’urgence – casque, plastron, jambières, visières, etc. – pendant cinq jours parce qu’ils se faisaient lancer des liquides, des batteries ou des bouts de cadrage de fenêtre à travers les judas, explique-t-il. Je n’avais jamais vu des agents travailler avec cet équipement pendant une semaine. C’est un équipement encombrant et, en plus, on n’est pas toujours capable d’avoir de l’équipement à notre taille, ce qui rend chaque manœuvre encore plus difficile. »

Si les nombreux tests qui ont été faits sur les personnes incarcérées ces derniers jours ont quelque peu aidé à faire redescendre la tension à l’intérieur des murs, d’autres facteurs continuent toutefois à compliquer les conditions de travail des agents, notamment le manque d’effectifs engendré par la quantité d’agentes et d’agents retirés de la rotation pour cause de maladie ou de retrait préventif.

« On est en sous-effectif pas mal tous les jours depuis les dernières semaines. Il manque au moins 10 agents par jour, précise Claude. On doit discuter entre nous et avec les gestionnaires pour déterminer quelles tâches sont prioritaires et quelles tâches ne pourront pas être faites. »

Composer avec un manque d’effectifs est difficile dans les meilleures circonstances, mais ça devient encore plus complexe lorsque de nouvelles mesures de protection forcent les employé-es à revoir complètement leur façon de travailler.

« Les détenu-es des secteurs infectés vont généralement manger à la cafétéria, mais maintenant, puisqu’ils doivent être isolés 24 heures sur 24, ils doivent manger dans leur cellule. Or, il n’y a pas d’ascenseurs dans ces secteurs et il n’y a pas de passe-plats aux portes des cellules. Les agents doivent donc monter les repas à la main au troisième étage, puis entrer dans les cellules pour déposer les repas », explique Claude.

Au milieu de toutes ces embûches, Claude espère au moins que des leçons seront tirées de l’expérience vécue par les agentes et agents de Bordeaux.

« Oui, on maintient l’ordre, mais dans quelles conditions ? Ce ne sont pas nos conditions habituelles. On est habitués à faire face au stress, mais là, il y a une grosse coche de plus que d’habitude. Chaque fois qu’on doit faire quelque chose, il faut qu’on se casse la tête pour trouver une nouvelle façon sécuritaire de procéder. J’espère que ce qui se passe ici peut aider les autres à se préparer, parce que ça pourrait aussi arriver à Rivière-des-Prairies ou à Trois-Rivières », a-t-il conclu.

Le secteur scolaire de la FEESP–CSN réitère ses inquiétudes

Le secteur scolaire de la FEESP–CSN tient à rappeler aux employeurs d’être conciliants avec les employé-es ayant des craintes pour la santé de leurs proches.

En cette journée de réouverture des écoles à l’échelle du Québec, excluant la communauté du Montréal métropolitain, le secteur scolaire de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN) tient à réitérer ses inquiétudes concernant les impacts sur le personnel de soutien scolaire.

« Le personnel de soutien a passé les dernières semaines à préparer les écoles pour la réouverture en tenant en compte des règles de distanciation sociale. Si en théorie ces règles sont applicables, nous sommes anxieux de voir comment elles s’appliqueront lorsque les élèves seront de retour dans les écoles », de souligner Annie Charland, présidente du secteur scolaire de la FEESP–CSN.

« Même si nous avons eu la confirmation du ministère de l’Éducation que du matériel de désinfection et de l’équipement de protection individuel seront fournis dans toutes les écoles, il n’en demeure pas moins que nous avons des inquiétudes sur les quantités fournies et la disponibilité réelle dans les écoles. On ne voudrait pas se retrouver dans une situation de manque de matériel dès la réouverture ! », ajoute Mme Charland.

Le secteur scolaire de la FEESP–CSN tient également à rappeler aux employeurs d’être conciliants avec les employé-es ayant des craintes pour la santé de leurs proches. Rappelons à cet effet qu’aucune règle d’exemption n’a été mise en place pour le personnel dont les proches sont plus vulnérables à la COVID-19.

Pour information

De technicienne chez Loto-Québec à aide de service en CHSLD

Le récit inspirant d’une employée qui s’est portée volontaire en temps de crise.

Alors que la pénurie de personnel faisait rage dans les CHSLD et que les appels à l’aide du premier ministre François Legault peinaient à combler les besoins urgents sur le terrain, Marie, une employée de Loto-Québec qui souhaite garder l’anonymat, s’est tout de suite inscrite sur le site Je Contribue pour offrir ses services en cette période de crise sanitaire inédite.

« Ses efforts, nous raconte Alain Balleux, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de Loto-Québec (STTLQ–CSN), méritent d’être connus et partagés publiquement. Sa contribution qui, à la base, est née d’un simple désir d’aider s’est vite transformée en un élan du cœur qui, nous croyons, pourrait en inspirer plusieurs. »

Résolue à prêter bénévolement main-forte au personnel d’un CHSLD le plus tôt possible, Marie a dû d’abord argumenter avec son propre employeur. Celui-ci lui offrait un congé sans solde pour pouvoir aller travailler dans un CIUSSS qui requérait, de son côté, qu’elle soit « embauchée formellement » pour la période où elle offrait son aide. Heureusement, grâce à l’intervention du STTLQ–CSN et de la CSN auprès des ressources humaines de Loto-Québec qui ont finalement interpellé leurs homologues du CIUSSS, tout est rentré dans l’ordre : Marie a pu (enfin) commencer son travail comme aide de service dans un CHSLD sans être pénalisée par les exigences bureaucratiques de la situation.

Lorsqu’elle est arrivée sur place pour son premier quart de travail (qui avait lieu la nuit), les employé-es de l’établissement qui l’accueillaient se demandaient par où commencer. « Je dirais qu’au début, on ne savait pas trop quoi faire de moi, avoue Marie en riant. Qui étais-je ? Qu’étais-je prête à faire ? J’ai écouté, demandé et ensuite, proposé. »

Avant de commencer le travail, Marie avait pris le temps de lire un peu sur le métier de préposé-e aux bénéficiaires, question d’essayer d’en savoir un peu plus « théoriquement » de manière à être plus performante du côté de la pratique. « J’avais lu qu’être préposée (PAB) ou infirmière en CHSLD, poursuit-elle, c’est faire don de soi. J’ai regardé le personnel la première nuit et c’est ce que j’ai constaté. Ces gens m’ont épatée ; les résidents aussi, d’ailleurs. J’ai reçu une leçon d’humanité. »

Tout au long de sa nuit, Marie a tenté de distribuer ce qu’elle appelle « des petits bonheurs » aux résidents, mais pas autant qu’elle ne l’aurait souhaité, car les tâches sont nombreuses et le personnel, limité.

« J’ai couru une partie de la nuit dans la chambre d’un résident qui ne cessait de faire sonner son alarme. Ça libérait un peu mes collègues. Il y avait cette dame de 73 ans, avec de sérieux problèmes de santé, qui appelait à l’aide pour avoir de l’eau — elle ne peut pas boire seule. Cette résidente est maintenant sur ma liste mentale et je vais la voir régulièrement pour lui apporter à boire, car demander de l’aide lui demande un grand effort — elle ne peut même pas sonner. »

Le travail de Marie ne se limitait pas à donner des verres d’eau. La formule « toutes autres tâches connexes » s’appliquait bien sûr à sa charge de travail. C’est ainsi qu’elle s’est appliquée à effectuer toutes les tâches pourtant nécessaires que le personnel ne pouvait exécuter, faute de temps et de renfort, comme placer des couches dans des chambres, remplir des chariots de soins, plier des serviettes, etc. Tout cela dans un contexte de pandémie qui fauche des vies chaque heure.

« Mon premier décès relié à la COVID-19 est survenu durant la nuit. En faisant ma ronde auprès d’une résidente, je me rends compte qu’il n’y pas de réaction, pas de pouls… L’infirmière se prépare à parler à la famille, tâche à laquelle elle ne s’habitue pas. Elle ne s’y habituera probablement jamais. Et malgré ce triste moment, la vie se poursuit tout de même dans toutes les autres chambres. On doit continuer malgré tout pour les gens qui ont encore besoin de nous, poursuit Marie. Les employés-es qui sont là tous les jours font des miracles. Il n’y a pas d’arrêt ou de pause, sauf au plus noir de la nuit. Et encore… »

À l’étage où travaillait Marie, la préposée présente l’a beaucoup aidée. Elle n’était pas censée y être cette nuit-là, car c’était sa nuit de congé. Mais elle était là. « Je n’ose pas imaginer comment elle se serait débrouillée seule. »

Marie avoue candidement qu’elle se croyait en forme. Après plusieurs quarts de travail, elle admet en riant avoir « les jambes en compote », avant d’ajouter du même souffle : « pas grave, je vais m’habituer. »

Après 15 jours consécutifs, à l’exception d’une nuit de congé, Marie est fatiguée, mais contente. Contente d’avoir pu aider un peu. Elle réalise à quel point le travail en CHSLD est exigeant et qu’il implique un dévouement exceptionnel. « Quel boulot ! Un vrai sacerdoce ! », s’exclame-t-elle, reconnaissante malgré tout de l’expérience qu’elle a vécue. « J’ai rencontré des gens extraordinaires, autant des collègues que des résidents. Ce séjour restera gravé dans ma mémoire à jamais. Je suis très reconnaissante d’avoir pu le vivre. »

On peut comprendre que le Syndicat des travailleurs et travailleuses de Loto-Québec ait voulu rendre hommage à cette dame anonyme dont la contribution exemplaire a de quoi inspirer en ces temps de pandémie.

Merci à Alain Balleux de nous avoir partagé si généreusement son récit.